Dans les entrailles de la ville la plus hantée d’Europe
Suivez-moi dans les ruelles et les souterrains d’Édimbourg, à la rencontre d’une entité qui attaque les amateurs de ghost tours à la nuit tombée.
Quel est le pays le plus étroitement lié au paranormal ? Si je vous posais cette question, il y aurait de fortes chances pour que l’Écosse soit au moins dans votre top 10, voire carrément sur le podium. Avec ses châteaux prétendument hantés, son mythique Loch Ness et ses centaines de récits horribles qui alimentent les innombrables ghost tours d’Édimbourg, sa réputation est largement faite.
En 2018, la société Premium Tours a réuni un ensemble de données sur l’étrange au sens large (OVNIs, témoignages surnaturels, lieux de tournage de films d’horreur, hantises supposées…) et dressé un classement des 35 pays les plus « spooky » au monde. Si les États-Unis ont bien sûr dominé la liste avec leurs 50 états débordant de légendes locales, le Royaume-Uni est arrivé en deuxième position.
Cette belle place s’explique en partie par un certain chauvinisme de la société britannique Premium Tours, mais surtout par la présence à travers la Grande-Bretagne de multiples points d’intérêt pour l’amateur de mystères. La compagnie anglaise The Original Walk Tour of York, par exemple, se targue d’avoir lancé « le premier ghost walk au monde » en 1973. Si la ville de York semble être le berceau des ghost tours, elle est loin d’être celle qui en compte le plus.
La plateforme de locations de vacances Holidu a affirmé en 2022, en se basant sur le nombre de visites guidées sur le thème du paranormal et leurs notes sur TripAdvisor, qu’une ville sortait du lot : loin devant des challengers comme Paris, Londres et Venise, qui compte pourtant dans son périmètre la sinistre île de Poveglia, Édimbourg serait « la ville la plus hantée d’Europe ». Il fallait donc que j’aille y passer mes vacances.
Sous les ruelles sombres d’Old Town
La plupart des lieux qui attirent les touristes en quête de frissons sont dans la vieille ville. Celle-ci s’articule autour du Royal Mile, une succession de rues d’environ 1,8km qui relie le château médiéval d’Édimbourg au palais de Holyrood, une des résidences officielles de la famille royale britannique. Tout autour, il est facile de se perdre dans les nombreuses wynds, courts et closes, les ruelles escarpées qui ont toutes une histoire macabre à offrir. Il suffit de parcourir le livre Ghostly Tales and Sinister Stories of Old Edinburgh – que j’ai bien sûr rapporté dans mes valises - pour en avoir un aperçu. Vous y entendrez parler d’un serrurier trop curieux et de sa macabre découverte dans une maison abandonnée de Bell’s Wynd, d’histoires de fantômes et de sorcellerie, de meurtres atroces et de châtiments sanglants.
Cet ouvrage a été écrit par Alan J. Wilson, Des Brogan et Frank McGrail, trois passionnés de folklore qui ont créé ensemble Mercat Tours, la première société à avoir proposé des ghost tours à Édimbourg en 1985. Ses guides en cape noires et oranges se baladent toujours dans les rues d’Old Town. J’en ai suivi un, par une fraîche nuit d’avril, jusque dans de sombres souterrains. À la fin des années 1780, lors de la construction de l’immense South Bridge, certaines zones de la vieille ville furent recouvertes par le tracé des nouvelles rues.
Ensemble de tunnels et de caves voûtées, les South Bridge Vaults ont servi de tavernes et d’espace de stockage, mais aussi de lieux de prostitution, de trafics en tous genres et de pratique de la sorcellerie. Les histoires de fantômes y sont nombreuses et mon guide nocturne, Jared, prend un malin plaisir à les raconter à la lueur de la bougie, en prenant une voix grave et en appuyant son accent écossais. Le tour que j’ai choisi, Hidden & Haunted, nous fait errer dans ces caves à la rencontre de spectres. « Quand nous passerons dans l’autre pièce, ne vous retournez pas, nous prévient Jared. Il y a un grand homme maigre qui nous observe dans l’ombre. » Dans cette ambiance établie d’une main de maître par notre guide, rares sont les courageux qui osent jeter un œil.
Un peu plus loin, Jared nous explique que l’équipe de l’émission Ghost Adventures et le YouTubeur Joe Swash affirment avoir croisé des fantômes et même enregistré des voix. Il nous somme alors de faire le silence : dans cette pièce, il ne serait pas rare d’entendre des murmures. J’essaie d’être le plus attentif possible, guettant les moindres variations de la légère brise qui parcourt les souterrains. Je dois être à moitié sourd, car je ne perçois rien. Quelques-uns de mes camarades du soir, en revanche, sont persuadés d’avoir entendu un prénom glissé au creux de leur oreille : Jack ou James. Ce serait l’esprit d’un petit garçon aux cheveux blonds bouclés qui aime observer les visiteurs, assis sur une des étagères de la cave à vin.
Rencontre avec les fantômes de la ville souterraine
En quête perpétuelle d’une figure maternelle, aimant chanter et jouer avec une balle rouge, l’enfant serait effrayé par une entité plus dangereuse, le mystérieux Mr Boots, au point d’essayer de retenir les personnes qui se dirigent vers son antre. Les South Bridge Vaults serait habités par bien des spectres : un « aristocrate » ressemblant à Abraham Lincoln, un homme au sourire mauvais lié au Hellfire Club, un cordonnier amical, une brute avec un large couteau qui hurle aux visiteurs de partir, une jeune femme au visage couvert d’un voile noir qui provoque des sentiments de chagrin et de colère… Mais Mr Boots est considéré comme le plus inquiétant de tous.
On pourrait parfois entendre le lourd pas de ses bottes en cuir résonner dans les couloirs. Ancien tueur de masse ou simple voleur de cadavres, comme cela se faisait beaucoup à Édimbourg à l’époque où les chirurgiens avaient besoin de corps pour s’exercer, Mr Boots hanterait toute la ville souterraine. Mais il serait plus particulièrement actif dans une zone des South Bridge Vaults : la White Room, où il aurait entreposé ses victimes.
Lorsque l’on entre dans cette pièce, une cave voûtée sans lumière, Mr Boots se glisserait parfois discrètement dans le dos des visiteurs, qui sentiraient son haleine nauséabonde et un souffle sur leur nuque. Les légendes veulent qu’il viderait les batteries électriques, ferait dysfonctionner les caméras et pourrait même s’en prendre physiquement aux participants des ghost tours. Certains affirment avoir été tirés ou griffés par l’entité. Je suis remonté à la surface en un seul morceau, sans blessure mais la tête remplie d’histoires de fantômes, ravi d’avoir passé cette soirée en compagnie d’un guide aussi passionné que Jared.
Victimes de la peste & canards en plastique
En octobre 2023, les « experts » autoproclamés du site Planet Cruise ont élu le lieu « le plus spooky » de la planète. Leur choix, très discutable, s’est porté sur The Real Mary King's Close à Édimbourg. Difficile de rater l’attraction : tous les Lonely Planet et Guides Verts recommandent l’expérience, les hôtels de la ville sont remplis de leurs flyers et leur site apparaît à la moindre recherche internet sur le thème du paranormal dans la capitale écossaise. Si le château d’Édimbourg, avec ses siècles d’Histoire, reste considéré comme le lieu le plus hanté du pays, un marketing très efficace (et agressif) a réussi à faire de The Real Mary King's Close une étape incontournable lorsque l’on veut jouer à se faire peur dans la vieille ville.
Cette attraction touristique nous conduit à travers des ruelles étroites condamnées, partiellement détruites et ensevelies lors de l’érection au 18ème siècle du Royal Exchange, un imposant bâtiment sur le Royal Mile ayant par la suite abrité le parlement écossais. Après une courte attente dans une salle au décor de carton-pâte, notre guide ouvre brusquement une porte : elle porte un costume d’époque et dit venir du 17ème siècle. Nous la suivons sous le Royal Mile, nous enfonçant à chaque marche un peu plus profondément dans l’abîme du temps.
Une fois tout en bas, notre guide enchaîne avec une pointe d’humour détaché les anecdotes sur l’extrême misère des habitants de ces closes et les récits sur l’épidémie de peste qui a ravagé la ville en 1644. Toutes sont basées « sur des faits réels », nous assure-t-elle. Même celle, atroce, de ce pauvre père de famille qui voulait gagner quelques sous en s’improvisant fossoyeur et qui a apporté la mort noire à sa femme et ses enfants. Dans une pièce, ils sont représentés par des mannequins portant les stigmates de la maladie. Le cadavre du fossoyeur gît dans un sac de toile, à côté de sa femme et de leur bébé à l’article de la mort, non loin du fils aîné à la peau percée de bubons noirâtres.
Attraction digne d’un Disneyland dérangé, The Real Mary King's Close est géré par la même société qui s’occupe du Loch Ness Centre, le musée interactif autour de Nessie qui attire les touristes à Drumnadrochit (croisières sur le loch en supplément). Reconstitutions soignées, personnages qui s’animent sur les murs : nous sommes chez des professionnels qui savent écouler des tickets et faire de la vente additionnelle. La boutique de souvenirs vaut à elle seule la visite : on y trouve des écharpes au motif tartan noir et rouge spécialement conçu pour le lieu, des livres sur la face sombre de la ville, des bonbons « pustules » et « crottes de rat », et le produit star qui a percé sur TikTok : le « Plague Ducktor », un canard de bain en costume de médecin de la peste.
Une poupée pour Annie
Dans ce tourbillon de marketing, le frisson pourrait facilement se perdre. Mais ce serait oublier que même bien avant sa disparition sous terre, Mary King’s Close a été au centre de dizaines d’histoires de meurtres, de tragiques accidents et de hantises. Pour l’aspect surnaturel, une explication possible a été apportée. La close débouchait, avant qu’il ne soit asséché et qu’on y installe un parc reliant la vieille ville à New Town, sur un lac. Le vieux Nor Loch, jadis une barrière aquatique protégeant la cité médiévale dans le prolongement du Flooden Wall, était un désastre sanitaire. Tous les déchets y finissaient, charriés par les torrents d’immondices jetés dans les ruelles en pente. Pollué à l’extrême, il dégageait des gaz qui remontaient dans certaines closes et auraient pu créer d’étranges lumières et causer des hallucinations.
La longue tradition de témoignages paranormaux sur la Mary King’s Close et ses ruelles adjacentes continue de se perpétuer grâce aux locaux et à de nouveaux venus. En 1992, la médium japonaise Aiko Gibo aurait senti la présence du spectre d’une petite fille, Annie, dans la chambre d’une maison d’Allan’s Close. Afin de consoler ce fantôme triste d’avoir perdu sa poupée préférée, elle serait partie en acheter une dans un magasin de jouets tout proche. Selon la médium, ce cadeau aurait apaisé l’esprit de la fillette. Depuis, les visiteurs de The Real Mary King’s Close lui déposent des jouets, des bijoux et des poupées, formant avec le temps une petite montagne de présents. Mais la poupée d’Aiko Gibo n’est malheureusement plus là : elle a été volée en 2019.
Bière supplément spectre
Après ces aventures sous terre, j’avais envie de remonter à la surface et de descendre une bonne pinte. Quel meilleur lieu pour cela que le White Hart Inn, sur Grassmarket ? Considéré (peut-être à tort) comme un des établissements où les criminels Burke et Hare faisaient boire leurs victimes avant de les zigouiller et de vendre leurs corps encore tièdes dans le quartier des chirurgiens, ce pub se vante d’avoir un titre que bien d’autres doivent lui envier. Il aurait été élu (mais impossible de savoir par qui) « pub le plus hanté d’Édimbourg » en 2005.
Porte de la chambre froide qui se ferme toute seule, fûts qui se déplacent, tireuses à bières débranchées, coups et bien sûr esprits : à en croire les propriétaires, c’est Paranormal Activity tous les soirs. Un petit panneau nous interroge dès l’entrée : « Hanté par un fantôme. Avez-vous vu quelque chose ? » Il y aurait plusieurs spectres : une silhouette sombre et inquiétante côtoierait une femme en robe rouge, une petite fille du 18ème siècle et une paire de jambes à jamais détachée de son corps. Cette nuit-là, en buvant ma bière, j’ai juste vu un vieux monsieur bien réel qui jouait de la musique, et c’était déjà très bien.
Vous partager mon voyage en Écosse me prendra plus qu’une simple lettre. Dans la prochaine, je vous raconterai comment je suis allé à la rencontre de l’entité la plus dangereuse d’Édimbourg, une nuit dans un cimetière battu par le vent. En attendant, vous pouvez voir sur mon compte Instagram, en story épinglée, quelques photos de cette semaine pleine de beaux paysages et de mystères. À très bientôt.